Objectif zéro carbone : la transition doit être énergétique et solidaire
Sommaire
Le Mouvement Impact France organisait une table-ronde, mercredi 6 avril 2022, sur le thème de la neutralité carbone dans l’habitat. A cette occasion, trois experts du secteur ont livré leur vision sur le sujet et sur la façon de réussir la transition vers une économie durable et solidaire. Ils sont notamment revenus sur les solutions pour adapter les logements aux impératifs écologiques.
Rénover pour moins de consommations d'énergie et d'émissions de carbone ©Shutterstock
Le 3e rapport du GIEC est formel, la transition vers une économie durable et résiliente passera par une transformation solidaire de nos sociétés. Alors qu’en France, les bâtiments concentrent environ la moitié des consommations d’énergie et plus d’un quart des émissions de gaz à effet de serre, quels sont les leviers à actionner pour plus de sobriété ?
Lors d’une table-ronde organisée le 6 avril dernier par le Mouvement Impact France, Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, a souligné : « Il y a une démarche qui est tout à fait cohérente qui nous fait aller progressivement de la maîtrise de nos consommations d’énergie vers la recherche du bas carbone dans l’habitat ».
Revenant 15 ans en arrière, il a rappelé que le Grenelle de l’environnement avait rassemblé, en 2007, l’ensemble des forces vives du pays autour d’un objectif à 2050. Cet « acte fondateur » a permis de « se donner une perspective » autour de la réduction des consommations d’énergie.
Des actions ont été initiées :
- La RT2012 pour que les constructions nouvelles soient de plus en plus respectueuses de l’énergie consommée dans le bâtiment
- La mise à disposition d’aides pour sensibiliser la population aux économies d’énergie (MaPrimeRénov, Certificats d'économies d'énergie...) et sortir les ménages de la précarité énergétique
- Le déploiement d’un prêt remboursable à la succession ou à la vente du logement, le prêt avance rénovation (PAR)
De l’énergie au carbone
« Nous ne sommes pas au bout du chemin sur l’énergie mais c’est le moment que l’on choisit pour amplifier l’action en s’attaquant de plein pot à la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre », a poursuivi le président du Plan bâtiment durable. Cette volonté s’est matérialisée par la mise en place de la réglementation environnementale dite RE2020.
Lire aussi : L'Ademe et la Cstb imaginent les bâtiments de demain
« La prise en compte du poids carbone au cours des rénovations des bâtiments existants est un prochain chantier », a-t-il indiqué. En effet, dans le cadre de loi climat et résilience, le Parlement a sollicité les filières pour qu’elles élaborent, d’ici à 2023, une feuille de route de décarbonation. Le Plan bâtiment durable et le CSTB ont été missionnés pour conduire la concertation dans le secteur du bâtiment. « Voilà le programme dans lequel nous sommes embarqués avec clairement un changement de braquet qui se dessine ».
Rénover autrement
Si l’objectif est d’accélérer le mouvement vers la neutralité carbone, Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l’ordre des architectes (Cnoa), prévient : « Il ne faut pas que la transition énergétique soit source d’exclusion et de relégation de personnes. Dans cette question de la transition, il y a celle de faire ensemble et d’être tous ensemble ».
Aller vers plus de sobriété, « c’est isoler les bâtiments mais c’est peut-être aussi se poser la question d’avoir moins de systèmes polluants, c’est trouver des solutions qu’on pourrait appeler low-tech ».
Pour réduire l’impact carbone du bâtiment, il est également nécessaire de repenser les matériaux mis en œuvre. En ce sens, la RE2020 encourage l’utilisation de biosourcés comme le bois, le chanvre, la paille, le bambou, la terre coulée, crue, compactée, etc.
« Ces méthodes ancestrales sont réinvesties par les concepteurs pour en faire des matériaux nobles et bas carbone. Ce sont des matériaux locaux qui peuvent être fabriqués et transformés en France. Là aussi il y a un enjeu de stratégie économique autour de l’investissement dans de nouvelles filières. Il y a un besoin de changer les pratiques, de trouver de nouvelles façons de construire et de rénover ».
Vers un changement d’échelle en rénovation ?
Interrogé sur la rénovation globale, Philippe Pelletier a indiqué que l'essentiel des rénovations était « des gestes. On peut en être désolé mais on peut aussi penser que c’est une première marche vers d’autres travaux qui conduiront à la rénovation globale. C’est un premier pas qui mérite d’être relevé ». La piste des bouquets de travaux devrait, selon lui, être davantage explorée.
L’un des freins à la rénovation globale est le manque de coordination sur les chantiers, a estimé Valérie Flicoteaux. « Beaucoup d’acteurs appellent à la prise en compte d’études en amont qui permettent de faire des prescriptions et d’interroger le bâtiment de façon systémique et plus globale ».
Lire aussi : La phase d'études est indispensable à la réussite d'un projet de rénovation
Philippe Pelletier s'est également référé à la formation des artisans. « Il y a partout sur le territoire des gens compétents mais on peut aussi dire que l’ensemble des gens qui travaillent dans l’acte de bâtir et de rénover n’a pas acquis la compétence nécessaire » pour accompagner le mouvement.
« Nous avons des progrès à faire pour plus aller plus vite, plus loin, plus fort mais ménageons les professionnels pour qu’ils réussissent cette mue », a-t-il insisté rappelant que les entreprises unipersonnelles sont très nombreuses dans l'artisanat du bâtiment et qu’il reste compliqué pour elles de libérer du temps pour se former.
Des subventions pas toujours adaptées pour les plus modestes ?
Rénover plus implique aussi plus de financements. « J’espère la mobilisation du secteur bancaire, ce qui n’est pas encore le cas, pour qu’il accompagne par des prêts adaptés les actions de rénovation », a déclaré Philippe Pelletier. A ce sujet, Suzanne de Cheveigné, présidente des Compagnons Bâtisseurs, a regretté l’instabilité des dispositifs, des dispositifs qui ne sont pas toujours adaptés pour les ménages les plus modestes. « L’une des raisons, c’est que ces personnes ont fortement besoin d’être accompagnés parce que c’est un processus techniquement compliqué, socialement déstabilisant, complexe dont elles n’ont pas l’habitude ».
Si le prêt avance rénovation « est vraiment un progrès très clair dans le secteur », il peut poser problème à des gens qui sont interdits bancaires ou dont le bien est en milieu rural et n’a pas la valeur correspondant aux travaux nécessaires pour le mettre en état. « Et je trouve qu’il y a quelque chose d’assez cruel que le seul bien que ces gens pourraient transmettre puisse se retrouver hypothéqué ».
Elle a également estimé qu’il était indispensable d’impliquer l’habitant dans les rénovations. Autre acteur essentiel, l’élu local, a ajouté Valérie Flicoteaux. « C’est un interlocuteur privilégié de ces habitants en situation de précarité énergétique. Une démarche globale portée par le maire a beaucoup plus de chance d’aboutir ».