Rénover les logements est aussi un enjeu de santé publique
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INTERVIEW. A l’occasion de la Journée mondiale de la santé célébrée le 7 avril, nous vous proposons de revenir sur l’impact de la précarité énergétique sur la santé mentale et physique des occupants. Nous vous invitons également à découvrir RénovSanté, un projet multi partenarial lancé en région Auvergne-Rhône-Alpes dont l’objectif est de mesurer l’évolution de la consommation de soins avant et après la réhabilitation de logements.
La précarité énergétique, des enjeux économiques et sanitaires
Dans son 27e rapport annuel sur l’état du mal-logement en France dévoilé en janvier 2022, la Fondation Abbé Pierre signale que près de 4,1 millions de personnes sont considérées mal logées parmi lesquelles plus de deux millions vivent dans des logements sans confort.
Alors que 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique, la Fondation estime que la rénovation de 5 millions de passoires thermiques « doit constituer une priorité nationale. Il est temps de changer de braquet en doublant les aides publiques à la rénovation énergétique pour éradiquer l’ensemble des passoires en dix ans ».
Au-delà des économies d’énergie, rénover les logements est en effet un enjeu de santé publique. Qu’il s’agisse de précarité énergétique ou de mal-logement, les conséquences sur la santé mentale et physique des ménages ne sont pas à négliger.
En 2007, la Fondation Abbé Pierre lançait d’ailleurs une campagne de sensibilisation à ce sujet. Intitulée « Quand on est malade, on reste à la maison, mais quand c’est le logement qui rend malade ? ». L’objectif était de mettre en lumière les dégâts d’un logement insalubre, humide ou très dégradé sur ses occupants pour ainsi faire évoluer les pratiques et les politiques.
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Rénover pour des bâtiments plus sains
Sur le terrain, où en est-on ? Si la santé reste un élément parmi d’autres dans les projets de construction et de rénovation, des initiatives émergent pour changer d'échelle. On citera notamment les Défis Bâtiment Santé, initié par Suzanne Déoux, ou encore la création de l’Association française de la ventilation qui vise une meilleure prise en compte de la santé et du bien-être des occupants des bâtiments.
Les pouvoirs publics semblent également s’emparer (peu à peu) du sujet. Le ministère de la Transition écologique vient par exemple de dévoiler les résultats d’une enquête démontrant que la rénovation énergétique de l’ensemble des passoires thermiques (dont le nombre est évalué à 4,8 millions) d’ici 2028, permettrait d’éviter des coûts de santé de près de 10 milliards d’euros par an.
L’étude souligne également que « les occupants des 5% des logements les plus énergivores, en particulier les ménages à faible revenu, sont exposés à un risque accru pour leur santé lié aux températures intérieures basses ».
💡 Pour rappel, selon une enquête Eurostat, près de 35 millions d’Européens étaient dans l’incapacité de se chauffer en 2020. Dans un tableau de bord publié en février 2022, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) met en évidence qu’un Français sur cinq a souffert du froid au cours de l’hiver 2020-2021 : 40% en raison d’une mauvaise isolation thermique et 36% pour des raisons financières.
RénovSanté : mesurer l’impact de la précarité énergétique pour mieux agir
Si l’étude du ministère de la Transition écologique est encourageante, ses auteurs appellent à la réalisation d’une analyse quantitative « plus poussée » permettant de croiser les informations sur la performance énergétique de l’habitat, le revenu des ménages et les risques de santé. Ils estiment également nécessaire d’affiner les paramètres de calcul en fonction des caractéristiques du logement, par exemple, le système de chauffage.
En ce sens, RénovSanté pourrait bien apporter sa pierre à l’édifice. Le projet est notamment porté par la Chaire HOPE, le CREAI-ORS Occitanie, l’ORS Auvergne-Rhône-Alpes, l’association Gefosat, les Compagnons Bâtisseurs et Soliha. Il vise à mesurer l’évolution de la consommation de soins à la suite de travaux de réhabilitation de logements.
Le projet fait suite à une série de trois études sur le même thème dont une financée par l’Ademe. « Il nous paraissait intéressant de pouvoir répliquer ces travaux de façon plus solide », détaille Bernard Ledesert, médecin de santé publique – ORS Occitanie.
La première étape va consister à recueillir, auprès des 315 ménages participants, « des informations qualitatives et quantitatives sur leurs consommations de soins avant travaux ». Une fois les travaux réalisés, plusieurs éléments seront mesurés par le Centre Scientifique et technique du bâtiment (CSTB) : la qualité sanitaire des bâtiments, le confort d’ambiance, les performances énergétiques réelles et le confort ressenti par les occupants.
Mickaël Derbez, expert au CSTB – direction santé et confort, nous explique que la méthode QSE (qualité sanitaire et énergétique), développée dans le cadre du programme Profeel, sera appliquée sur une trentaine de logements « pour déterminer l’impact des travaux de rénovation sur la performance globale du bâtiment ».
Les résultats permettront entre autres de « disposer d’arguments convaincants pour encourager plus de personnes à réaliser des travaux ». C’est également un moyen d’apporter des chiffres tangibles pour mobiliser les investissements nécessaires à la lutte contre la précarité énergétique.
« Le fait d’être bien dans son logement a un impact extrêmement important sur la qualité de vie de la personne et sur sa capacité à être un acteur de la société », souligne Bernard Ledesert.
Des rénovations plus orientées « santé » ?
Au-delà de l’étude, les porteurs du projet soulignent la nécessité d'engager l'ensemble des professionnels de l'acte de bâtir et de rénover autour de cette thématique, notamment via des formations intégrant des modules ou une vision santé.
Les « artisans ont un rôle clé et moteur dans les programmes de rénovation de manière générale. Il y a un travail à faire pour les sensibiliser à l’importance du type de rénovation en fonction des pathologies qu’il peut y avoir. C’est un vrai challenge », souligne Régis Largillier, titulaire de la Chaire Hope.
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Ils doivent également être à même de conseiller et d’accompagner les ménages dans l’utilisation des équipements. « Lorsque vous passez d’une passoire thermique à un logement de haute qualité, vous devez changer votre façon d’utiliser votre logement », ajoute Bernard Ledesert.
La tendance pourrait également être boostée par l’intermédiaire des médecins en les formant à la précarité énergétique. « Dans certains pays, les médecins prescrivent des travaux de rénovation », poursuit Régis Largillier. « Nous ne sommes qu’au début de l’histoire », conclut-il.
Le projet RénovSanté est notamment soutenu par Solinergy, le Fonds solidaire de lutte contre la précarité énergétique du groupe Effy. Le rapport final est attendu pour 2024.