Les Compagnons du Devoir planchent sur le CFA de 2035
Depuis le mois de mai dernier, l’association ouvrière des Compagnons du devoir et du Tour de France mène une réflexion pour imaginer le CFA à l’horizon 2035. L’objectif, adapter les parcours de formation à la mutation des métiers et aux grandes tendances sociétales. Nous faisons le point sur la démarche avec Philippe Dresto, Directeur prospective et marketing stratégique.
Pouvez-vous revenir sur le rôle de l’association ouvrière des Compagnons du devoir et du Tour de France ?
L’objectif de l’association est de former des Compagnons à travers 4 piliers :
- La transmission d’un métier
- Le voyage
- La vie en communauté
- L’initiation.
A la fin de cette étape, le candidat est reconnu par ses pairs, et va pouvoir à son tour évoluer dans le compagnonnage et ensuite retransmettre.
L’association forme environ 10 000 personnes par an et compte sur 1 800 salariés dont 1 200 équivalents temps plein, 85 maisons de Compagnons, et 110 points de passage. On retrouve 31 métiers dont ceux du bâtiment qui représentent entre 60 et 70% des effectifs.
Quels sont les parcours proposés ?
Des formations en alternance allant du CAP à la licence professionnelle sont proposées. En apprentissage, le temps en entreprise est très important. Les apprenants ne vont passer que 12 semaines en ateliers chez les Compagnons, et seulement 5 semaines s’ils choisissent le parcours de perfectionnement (formations diplômantes ou qualifiantes).
À la suite de la formation, les apprenants partent en tour de France. Ils deviennent « aspirants » et cumulent des expériences dans des entreprises, dans le métier qu’ils ont choisi. Le cursus propose même une année à l’international qui permet de s’ouvrir au monde, à d’autres pratiques et de se construire en tant qu’individu.
Être Compagnon, c’est l'aventure de toute une vie ?
Compagnon, c’est un titre qui, dans certains secteurs comme le bâtiment, vaut tous les diplômes. Chaque année, les Assises internationales du Compagnonnage réunissent 1 200 à 1 800 personnes. Donc oui, on est Compagnon toute sa vie. Nous sommes d’ailleurs la 3e association la plus importante de France avec 8 000 bénévoles.
Les Compagnons du devoir, ce n’est pas un CFA comme un autre. Derrière ces formations, il y a un vrai projet personnel, et il y a surtout une philosophie.
Vous avez lancé une démarche prospective pour imaginer le CFA de demain. Dites-nous en plus.
Nous faisions déjà de la prospective sur les métiers, et plus précisément sur le « devenir du métier ». Quand la réforme de l’apprentissage est arrivée en 2018, j’ai proposé cette nouvelle démarche pour être au rendez-vous de nos jeunes dans 10 ans.
On ne forme pas les professionnels d’aujourd’hui avec les techniques d’hier
La crise sanitaire a été un accélérateur. Nous avons été obligés de numériser les formations, de transmettre les choses différemment. Toutes les nouveautés que l’on a pu expérimenter sont venues alimenter la démarche.
Quelles sont les premières pistes identifiées ?
La démarche est encore un peu jeune pour en tirer des enseignements. La première étape a été d’identifier l’environnement prospectif, c’est-à-dire les facteurs qui vont impacter l’évolution du CFA ces quinze prochaines années.
Parmi eux : la politique économique du CFA, le numérique, l’environnement, les mutations des métiers, etc. Nous en avons priorisé 8/9, et nous avons regardé de quelle façon ils avaient évolué depuis 10 ans.
Nous allons formuler des hypothèses par facteur, et voir comment les assembler pour raconter une histoire.
Il faudra ensuite retenir un scénario et réfléchir aux actions à mettre en œuvre. Les conclusions sont attendues pour janvier.
Vous avez évoqué une autre démarche. Le « devenir du métier ». De quoi s’agit-il ?
Nous avons pris en compte les grandes transitions qui traversent les métiers, notamment la maçonnerie. Et, avec ces travaux, nous avons sensibilisé les jeunes et les moins jeunes à ces mutations.
Pour la transition écologique, nous nous sommes rendus à la Fondation GoodPlanet. Nous avons souhaité que chacun puisse s’imprégner de l’impact environnemental de son métier. Le maçon peut par exemple changer la donne. Nous avons donc parlé recyclage, déconstruction, nouveaux matériaux (béton de chanvre), etc.
En termes de transition numérique, nous avons élaboré trois approches :
- Nous avons permis aux gens de se rendre compte que le numérique était un outil de plus.
- Au niveau de la transmission, nous avons commencé, avant même la crise sanitaire, à utiliser de nouveaux canaux de communication (visioconférences, ressources numériques…). Avec le numérique, nous sommes sur une logique de pédagogie inversée. Les jeunes forment les anciens.
- Nous nous sommes également aperçus que la transition numérique pouvait générer une activité économique et une valeur ajoutée. Je pense ici à la donnée qu’on peut en ressortir.
Il y a aussi la transition sociétale : on est sur du collaboratif, sur le faire ensemble, le faire avec. L’idée était d’impliquer les jeunes pour qu’ils s’intéressent à nos métiers. Nous avons apporté des nouveaux outils, de nouvelles méthodes. La vie en communauté a évolué via la mise en place de débats, de work cafés, etc.
De nombreuses actions sont en cours de déploiement pour rendre toute leur attractivité aux métiers du bâtiment. Comment accélérer la tendance ?
Quand nous avons effectué nos travaux avec nos maçons, ça a généré un mouvement dans la filière avec les différentes fédérations professionnelles. Tout le monde s’est mis autour de la table pour produire des éléments qui favorisent et valorisent l’image du métier.
La direction de la communication de l’association a travaillé avec des youtubeurs qui ont suivi un couvreur sur une journée de travail. Cela génère une évolution et une accessibilité du métier.
Il faut également mettre fin aux idées reçues pour déverrouiller les modèles. L’alternance et l’apprentissage ne sont pas réservés aux mauvais élèves.