Fraudes à la rénovation énergétique : le Premier ministre entre dans l’arène

Après le discours remarqué de Bruno Le Maire en mars dernier, c’est au tour du Premier ministre Gabriel Attal de prendre la parole sur le sujet de la lutte contre les fraudes à la rénovation énergétique. Une première dans la bouche d’un Premier ministre, qui témoigne de l’importance accordée par l’exécutif à ce sujet brûlant. Décryptage.

L’électrochoc de Tracfin sur les fraudes à MaPrimeRénov’

L’annonce avait surpris l’ensemble de la filière : début mai le ministre des Comptes Publics dévoilait dans Les Echos1 que les soupçons de fraudes à MaPrimeRénov’ en 2023 s’élevaient à 400 millions d’euros. Les signalements de Tracfin portent ainsi sur 16% du budget 2023 de MaPrimeRénov’, un montant colossal qui a poussé le député Vincent Thiébaut a interrogé la semaine dernière le Premier ministre sur les moyens alloués à la lutte contre les fraudes
 

 « Sur [les fraudes à] MaPrimeRénov’, c’est pour moi une préoccupation très forte » Gabriel Attal à l’Assemblée nationale, 15 mai 2024 


Jamais un Premier ministre ne s’était exprimé jusqu’à présent sur le phénomène des fraudes à la rénovation énergétique. D’entrée de jeu Gabriel Attal a tenu à rappeler que les 400 millions d’euros frauduleux avaient été « volés aux Français ». Surtout, il a indiqué avoir « reçu les premières alertes de Tracfin en décembre 2022 » sur les fraudes à MaPrimeRénov’ et « mandaté une inspection sur ce sujet et fait tous les signalements nécessaires ». Une inspection ayant donné lieu via la loi de finances 2024 à un renforcement des engagements des mandataires – qui s’engagent désormais à restituer les sommes indûment perçues – et à une hausse du montant des sanctions pécuniaires.

Le projet de loi anti-fraudes prévu pour septembre

Sur les 400 millions d’euros d’aides MaPrimeRénov’ soupçonnés de fraudes en 2023, seulement 10 millions ont pour l’heure été recouvrés par l’administration a déclaré Thomas Cazenave. Un montant dérisoire au regard de l’ampleur de la fraude, pour partie lié aux manques de moyens de l’Etat pour traquer les fraudeurs. Pour ce faire, le ministre des Comptes publics présentera en septembre prochain un projet de loi de lutte contre les fraudes, comprenant en son cœur une série de mesures contre les fraudes à la rénovation énergétique. D’ici là, le Premier ministre a donné plus de détails la semaine dernière sur les principales mesures que contiendront le projet de loi en la matière :
 

  • Systématiser la suspension temporaire du versement des aides à la rénovation en cas de suspicions de fraudes. Avec pour objectif de couper le robinet au plus tôt, cette mesure doit permettre de réduire l’impact financier en cas de fraudes. 
     
  • Permettre au Pôle National des CEE de refuser l’ouverture d’un compte et de prendre des sanctions. Une mesure dont les contours restent encore flous mais qui pourrait consister à empêcher une personne morale d’ouvrir un compte sur Emmy, la plateforme de délivrance des Certificats d’Economies d’Energie.
     
  • Pouvoir retirer le label RGE à des entreprises frauduleuses avant même que celles-ci ne fasse l’objet d’un contrôle au titre de leur qualification.
     
  • Renforcer encore les pouvoirs d’enquête de la DGCCRF en autorisant ses agents à utiliser une identité d’emprunt pour détecter les fraudeurs. Aujourd’hui l’utilisation par les DGCCRF d’une identité d’emprunt est limitée au contrôle de la vente de biens et de fourniture de services sur internet.
     
  • Par ailleurs, le ministre des Comptes publics avait annoncé début mai que le projet de loi donnerait l’accès au fichier national des comptes bancaires (Ficoba) à l’ANAH et au PNCEE
     

L’ensemble de ces mesures seront donc présentées en septembre prochain par Thomas Cazenave à l’occasion d’un très attendu projet de loi de lutte contre les fraudes. Pour autant, une piste non-envisagée jusqu’à présent consisterait à relever le taux de contrôle de l’ANAH. Aujourd’hui fixé à 10% de contrôles sur site en 2024 pour les travaux financés par MaPrimeRénov’, son relèvement apparait comme une piste sérieuse au regard des 400 millions d’euros potentiellement frauduleux de 2023.






[1] Le nouvel arsenal antifraude concocté par Bercy, Les Echos, 2 mai 2024.

Victor Breheret

Chargé des Affaires Publiques chez Effy

Chaque semaine je décrypte à chaud l'activité législative au Parlement, les évolutions réglementaires d'aujourd'hui et de demain mais aussi les tendances politiques autour de la rénovation énergétique et l'autoconsommation solaire résidentielle.

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