Les enjeux du fléchage d’une partie de l’épargne réglementée

Le Gouvernement a récemment annoncé par voie de presse qu’il étudiait la possibilité de financer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires via une partie de l’épargne placée sur le livret A. Bien qu’aucun amendement en ce sens n’ait encore été déposé, cela interroge sur les enjeux de mobilisation de l’épargne réglementée dans un contexte où les ressources publiques sont davantage contraintes.

Un levier de financement colossal

En termes de ressources, l’épargne réglementée constitue un puissant outil de financement des politiques publiques puisque 834 milliards d’euros sont déposés sur ces produits fin 2021. Les livrets A et les livrets de développement durable et solidaire (LDDS)[1]  représentent 469 milliards d’euros répartis entre 278,5 milliards d’euros de fonds centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations et 190,6 milliards d’euros non centralisés.

Le code monétaire et financier[2] prévoit aujourd’hui un cadre spécifique et obligatoire d’investissement de l’argent placé sur les livrets A et les LDDS. Ainsi la partie centralisée auprès de la Caisse des dépôts est allouée au financement de la politique du logement social et de celle de la ville. C’est cette partie de l’épargne réglementée que le Gouvernement étudierait pour financer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. L’autre partie de ces fonds, non centralisée doit quant à elle être employée dans le financement de « la transition énergétique et la réduction de l’empreinte climatique » ainsi qu’au financement des besoins de trésoreries des PME et des micro-entreprises et l’économie sociale et solidaire.

Dont le fléchage rénovation énergétique mérite d’être rétabli

Aujourd’hui, au moins 10% de l’argent déposé sur les livrets A et les LDDS et qui sont non centralisés, soit un peu plus de 20 milliards d’euros, doivent être mobilisés pour le financement de la transition énergétique et la réduction de l’empreinte climatique. Par ailleurs avant l’entrée en vigueur de la loi Pacte[3], cette proportion minimale de 10% devait exclusivement être dédiée à la rénovation énergétique des logements. Par conséquent, le financement de la rénovation énergétique par l’épargne réglementée diminue.

En effet, selon le rapport 2021 de la banque de France sur l’épargne réglementée[4], le financement de la rénovation énergétique des logements via l’Eco-prêt à taux zéro (Eco-PTZ) ne représentait que 1,2% des fonds non centralisés, soit 2,3 milliards d’euros. En comparaison, le financement des prêts à la construction représente plus de 20 milliards d’euros en 2021. On peut être interpellé par le fait que le financement de la construction neuve respectant la norme RT 2012 soit privilégié à celui de la rénovation énergétique de l’existant qui demeure prioritaire.

Par conséquent, au regard des politiques publiques financées actuellement par les livrets A et les LDDS, on peut regretter le recul conséquent du financement de la rénovation énergétique des bâtiments alors qu’elle devrait être prioritaire au regard des résultats insatisfaisants de l’Eco-PTZ et du prêt avance rénovation (PAR) . En effet, malgré une hausse des prêts distribués, l’Eco-PTZ est toujours aussi peu distribué aux ménages les plus modestes[5], ceux qui en ont le plus besoin. On peut également s’interroger sur le volontarisme gouvernemental pour le financement des infrastructures nucléaires, et son absence en matière de rénovation énergétique, alors qu’elle demeure une politique publique également prioritaire sur le plan tant énergétique que climatique.

L’épargne réglementée pour des solutions de financement concrètes

Dans un contexte de la récente rencontre entre les ministres Bruno Lemaire, Christophe Béchu et Olivier Klein avec les acteurs bancaires, une meilleure mobilisation de l’épargne réglementée au profit du financement de la rénovation énergétique est essentielle pour déployer de nouvelles solutions concrètes.

Par exemple, une partie de l’argent placé sur les livrets A et les LDDS pourrait permettre l’émission de prêts « rénovation énergétique » garantis par l’Etat. Cette formule dont le fonctionnement a été salué, notamment par la Cour des comptes, pourrait notamment se substituer à la garantie du « Fonds de garantie pour la rénovation énergétique », qui bénéficie notamment aux plus modestes dans le cadre de l’Eco-PTZ. En effet, aujourd’hui cette garantie est très peu mobilisée et ne joue donc plus son rôle. Cette formule serait également plus simple avec une garantie publique à la place d’une garantie financée via un programme issu des certificats d’économies d’énergie.

La mobilisation d’une partie de l’argent placé sur les livrets A et les LDDS, centralisés à la Caisse des dépôts et consignations, pourrait permettre à cette institution d’incarner la banque de dernier recours de la « rénovation énergétique ». La Caisse des dépôts et consignation serait ainsi chargée d’octroyer des prêts garantis à la rénovation énergétique des logements aux ménages les plus modestes qui se seraient vu refuser deux demandes d’Eco-PTZ.